Tandja est tombé sans que personne ne s’en émeuve véritablement. Lui, le bien aimé du peuple nigérien qui déclarait à ses visiteurs qu’il vivait une expérience inédite dans la vie d’un président de la république. Il aurait tellement bien travaillé que le peuple nigérien lui impose de rester encore à la tête du pays. Le problème, c’est qu’à force de répéter ce mensonge à ses interlocuteurs, il avait fini par y croire lui-même. Sur un mensonge devenu vérité officielle, Tandja a entrepris son règne à vie. Arrivé au pouvoir par la démocratie, il s’est alors échiné à démanteler le système qui l’a fait roi. Il y a dans cette tragédie un entêtement et un aveuglement jamais égalés. Pendant toute l’année 2009 et de façon méthodique, Tandja a déconstruit la démocratie nigérienne qui était sans aucun doute la mieux pensée des Etats francophones d’Afrique.
Mais le processus avait été si bien fait que l’entreprise suicidaire de Tandja ne pouvait pas s’accomplir sans attirer l’opprobre sur son auteur. C’est ce qui a fini par arriver. Finalement, il aura fait son parjure pour juste un minable bonus de 57 jours de pouvoir en plus à la tête du pays, alors qu’il en escomptait 1095 jours, puis devait s’ouvrir devant lui un règne à vie. Maigre bénéfice pour une si grande forfaiture. S’il était parti le 22 décembre 2009, il serait aujourd’hui le héros vivant de son pays. Il a préféré le déshonneur du coup d’Etat. Il ferait depuis son arrestation une grève de la faim. Mais qui s’en préoccupe ? Nous avons passé 72 heures à Niamey dans l’ambiance du putsch.
Où sont passés ceux qui ont massivement voté la 6e république le 4 août dernier au Niger ? En 30 minutes, le chef d’escadron Salou Djibo a balayé la République de Tandja, sans rencontrer de résistance. La tragi-comédie tazartchiste s’est tristement achevée. Pour un grand dessein espéré, Tandja a récolté le déshonneur d’une défénestration du pouvoir.
C’est une journée banale, ce 18 février qui allait changer le cours de l’histoire dans ce qui était entrain de devenir inexorablement la "république de Tandja". Une réunion des plus ordinaires des chefs militaires de la zone de défense de la région de Niamey se tient dans les bureaux du commandant de la zone, le colonel Djibrila Hima dit Pélé. Le chef d’escadron, Salou Djibo, commandant de la compagnie d’appui est présent, mais personne ne sait que dans quelques heures, ce sera lui le président du Niger. Rien ne donne l’impression que quelque chose de capital est en préparation. Même le commandant de la zone n’en est pas informé. La chose a été étroitement préparée par deux hommes et pas plus : le chef d’escadron Salou Djibo et le jeune capitaine des para commando Djibril Adamou Arouna. Vers 11h 45, la réunion informelle s’achève et Salou Djibo retourne tranquillement à sa base.
Le compte à rebours est désormais en marche. Il sait qu’il lui reste exactement 1h15 mn avant le début du premier coup de feu qui allait donner le signal du raid. L’opération est parfaitement orchestrée. Trois véhicules légers dont deux équipés de 12/7 et un autre en système LRM quittent incognito le camp du CA et prennent la direction du palais présidentiel qu’ils sont chargés d’attaquer de front. La section commando de Djibril Adamou prend d’assaut par derrière la présidence en longeant la corniche. La jonction est prévue dans l’enceinte de la présidence après le coup de feu "top départ" et la progression des commandos couverte par un déluge de l’artillerie. La violence et la rapidité de l’attaque ont surpris et neutralisé les éléments de la garde présidentielle restés fidèles.
L’opération montée comme un raid commando avait un objectif principal ; se saisir du président Tandja Mamadou et le séquestrer au camp de la compagnie et maintenant faire face aux éventuelles résistances dans la zone militaire de Niamey et peut-être aussi de certaines garnisons de l’intérieur dont la fameuse unité PSI ( Plan Sahel Initiative) formée par les Américains dans le cadre de la lutte antiterroriste. Le blitzkrieg de Salou Djibo n’aura laissé aucune chance à une éventuelle riposte. Un blindé de la garde présidentielle s’aventure à faire de la résistance dans les alentours du rond point de l’hôpital national, mal lui en a pris. Son toit est détruit par un obus déchiquetant du même coup, les quatre soldats qui l’occupaient. C’est la seule vraie tentative de résistance.
Le patron de la zone, le colonel Pélé, mis devant le fait accompli, se range et avec lui un autre colonel important de la place d’arme de Niamey, le colonel Abdoulaye Adamou Harouna, qui n’est autre que le frère aîné du jeune capitaine para commando qui a mené le blitzkrieg. Un autre colonel, le commandant de la base aérienne, aurait, dit-on, aussi joué un rôle important. Il s’agit du colonel Mossi que l’on voit d’ailleurs sur les premières images de la junte, au moment de la lecture de leur première déclaration, à la gauche immédiate de Salou Djibo. A sa droite se trouve le jeune capitaine Djibril. Le colonel Hima dit Pélé est au premier rang, mais pas très proche de l’homme fort. Après l’audience avec la délégation conjointe CEDEAO-UA-ONU, le colonel Mossi sera le seul avec Salou Djibo à poser pour les photos. Contrairement donc aux premières informations qui ont circulé, le trio qui a fait le coup le 18 février est composé de Salou Djibo dont la compagnie a dirigé le putsch, du capitaine Djibril qui a entraîné avec lui sa section dans le raid et le colonel Mossi de l’armée de l’air qui a couvert en arrière plan l’attaque. La disposition des protagonistes sur la première photo de la junte est suffisamment éloquente sur les rôles des uns et des autres.
Pourquoi ce 18 février ?
Maintenant que le putsch a eu lieu, tout le monde croit savoir qu’il était dans l’ordre des choses. Il était prévisible certes, mais depuis ce temps que les tracts circulent à Niamey, on avait fini par ne plus y croire. Au lendemain du référendum contesté, des tracts avaient inondé Niamey indiquant le mécontentement des officiers. En son temps, le même colonel Goukoy, présentement porte-parole de la junte, avait fait une sortie sur les médias publics pour expliquer que les militaires s’en tenaient à leur rôle traditionnel. Une sortie qui avait ragaillardi les tazerchistes et peiné les forces de l’opposition. Le tort est réparé depuis la soirée du 18 février. Pourquoi les putschistes ont-ils agi le 18 février ? Il semble qu’il y avait une opportunité stratégique, notamment la préparation d’un tournoi de ballon militaire. Le chef d’escadron en a profité pour infiltrer les compétiteurs arrivés sans armes dans les alentours de la présidence de la république. Ces éléments auraient joué un rôle important dans la neutralisation de la garde présidentielle dont le gros de l’armement avait été saboté.
Deuxième circonstance, l’échec des pourparlers inter-nigériens, consacré par le sommet de la CEDEAO qui s’était achevé la veille à Abuja. La délégation gouvernementale conduite par l’ex-Premier ministre Gamatié est revenue dépitée, avec le dessein de retirer le Niger de la CEDEAO. Le Conseil des ministres de ce jeudi devrait justement prendre cette importante décision. En outre, il y avait, dit-on, en projet un mouvement dans l’armée qui devait affecter à l’intérieur du pays, des commandants peu fiables et mettre carrément à la retraite anticipée les officiers qui se montraient peu sensibles aux opérations de charme de Tandja. Personne apparemment n’aurait refusé les largesses du chef, pour ne pas attirer sur lui inutilement des soupçons. Mais au même moment, un des tracts attribués aux officiers indiquait clairement que "passé la date du 22 décembre, le président Tandja ne serait plus légitime".
Les rédacteurs du tract expliquent justement que "c’est parce que l’armée nigérienne est républicaine qu’elle ne peut reconnaître la légalité du pouvoir actuel au-delà du 22 décembre". Ainsi prévenu, Tandja fait accentuer la surveillance des officiers les plus en vue. Il s’agit d’abord du chef d’Etat-major des armées, le général Moumouni Bouriema dit "Tchanga" (il avait participé au coup d’Etat de Wanké de 1999), de son adjoint Seyni Garba et de deux autres généraux Mamadou Ousseini, chef de l’armée de terre et de Seyni Salou, chef de l’armée de l’air. Vis-à-vis d’eux, Tandja est méfiant et en même temps généreux. Le colonel Pélé est aussi l’un des officiers surveillé. Si les premiers sont directement surveillés par Tandja, le colonel Pélé par contre est sous la surveillance de Tchanga, le chef d’Etat major qui craint qu’il ne le double. C’est pourquoi, explique certaines sources bien introduites, le colonel Pélé ne pouvait pas exécuter le présent coup d’Etat, même s’il y pensait chaque matin en se rasant.
Informé des intentions du gouvernement, le chef d’escadron Salou Djibo, certainement moins surveillé que les autres, décide de prendre ses responsabilités. Mais la perfection de l’exécution du putsch indique qu’il avait été bien préparé. Ceux qui sont dans les secrets des dieux pensent que le plan de l’attaque aurait été préparé par le colonel Abdoulaye Adamou Harouna, tellement il rappelle le raid de ce dernier sur le bastion de la rébellion touareg à Tadek dans les montagnes de l’Aïr. Même s’il a fait le plan, il n’aurait pas joué les premiers rôles dans l’exécution du putsch, en témoigne la hiérarchie au sein du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) qui dirige le Niger depuis le 18 février dernier. Pour certains, c’est un vrai travail de pros. Salou Djibo a bien conçu et exécuté sa chose. Il l’a si bien fait qu’il n’a pas jugé utile de fermer immédiatement les frontières, de prendre la radio télévision, de couper le téléphone et de suspendre les libertés publiques. La constitution de la 6e république et les institutions qui en sont issues sont suspendues, mais les partis politiques ne sont pas interdits. La preuve, deux jours après avoir été chassé du pourvoir, l’ex parti majoritaire, le MNSD, pouvait donner une conférence de presse à son siège pour fustiger le putsch et prendre acte de son avènement. Au 20 heures de Télé Sahel, la télévision nationale, la déclaration est effectivement diffusée. C’est le signe que la restauration de la démocratie est en marche au Niger. Sous la république de Tandja, les médias publics étaient interdits à l’opposition. Serait-ce un signe des temps ? On veut bien y croire.
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