Le mot est lâché : "On rechigne généralement à utiliser un tel terme. Mais, désormais, il faut bien l'employer : l'est du Sahel est confronté au spectre de la famine", explique Olivier Longué, directeur général d'Action contre la faim Madrid, la branche de l'organisation non gouvernementale (ONG) opérant dans cette région d'Afrique où 300 000 enfants meurent déjà chaque année de malnutrition.
Les pluies erratiques - trop faibles par moments, trop violentes à d'autres - ont sérieusement amputé les productions céréalières de 2009 dans certains pays du Sahel : - 34 % au Tchad par rapport à 2008, - 31 % au Niger, - 10 % au Burkina Faso. Même si le Mali s'en sort globalement mieux (+ 10 %), le nord-est du pays est lui aussi touché. Avec pour conséquence de réelles craintes quant à la sécurité alimentaire des populations, une menace déjà identifiée voici plusieurs mois.
Depuis quelques jours, les appels à la mobilisation se multiplient : le 31 mars, l'ONG Oxfam estimait que "10 millions de personnes pourraient être victimes d'une grave crise alimentaire" au cours des prochains mois ; mardi 6 avril, le Comité international de la Croix-Rouge annonçait qu'il allait tripler son aide au Niger et au Mali ; le même jour, le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) indiquait que 860 000 enfants de moins de 5 ans vivant dans la région pourraient avoir besoin "de traitements contre la malnutrition aiguë sévère" ; mercredi, les Nations unies faisaient savoir qu'il leur manquait encore 133 millions de dollars (100 millions d'euros), sur un total de 190 millions, pour boucler un programme d'aide d'urgence au Niger.
"Nous sommes face à une situation vraiment inquiétante, mais pas face à une famine, tempère toutefois Alhousseini Bretaudeau, le secrétaire exécutif du Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel. La production de céréales dans le Sahel a atteint 16 millions de tonnes en 2009, pour des besoins estimés à 14 millions de tonnes. Le vrai problème, c'est la mauvaise circulation des denrées, qui crée des poches de populations sous-alimentées."
"Des pays comme le Niger ou le Tchad sont en permanence sur la corde raide, ils sont toujours aussi dépendants des importations, juge Bernard Bachelier, président de la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde (FARM). Et pourtant, à la suite des émeutes de la faim, les pays riches avaient promis d'aider au développement de cultures vivrières dans le monde en promettant de débloquer 20 milliards d'euros en 2008, puis 23 milliards en 2009. Or ces sommes n'ont toujours pas été décaissées."
Le Niger, encore marqué par la grande famine de 2005, et où l'espérance de vie est de 45,6 ans, est le pays où la situation est jugée la plus préoccupante. Au début de l'année, un rapport gouvernemental indiquait que 7,8 millions de personnes, soit 58 % de la population, se trouvaient en situation d'insécurité alimentaire sévère ou modérée. Soit trois fois plus qu'en 2008.
Cette situation a grandement participé, aux dires d'humanitaires et de diplomates, à la chute, le 18 février, du régime du président Mamadou Tandja, qui tentait de minimiser l'ampleur du phénomène. La junte militaire arrivée alors au pouvoir a très vite indiqué que sa priorité serait de lutter contre "la famine qui menace l'existence de millions de Nigériens".
Certains d'entre eux sont déjà entrés en "période de soudure", ce laps de temps entre l'épuisement des réserves et les nouvelles récoltes, qui auront lieu fin septembre-début octobre. Cette période ne débute habituellement pas avant juin. Du coup, expliquent des observateurs locaux, des familles entières - et pas seulement des hommes comme cela a pu arriver d'autres années - ont rallié les centres urbains, dans l'espoir d'y gagner de l'argent et d'y trouver des denrées.
Niamey a d'ailleurs reconnu, le 2 avril, que des écoles primaires étaient partiellement ou totalement vidées de leurs élèves dans la région de Zinder (centre-sud), en raison de l'exode des familles vers les villes, où les salaires sont, du coup, tirés vers le bas. Les éleveurs sont les plus fragilisés, car l'effondrement de la production fourragère, de l'ordre de 60 %, a fortement endommagé leur cheptel, qui a perdu quasiment toute valeur en raison de son état : un mouton, qui était vendu 30 000 à 50 000 francs CFA (45 à 75 euros), peut désormais valoir dix fois moins.
Cette situation exige une réponse urgente et coordonnée, estiment les ONG. "Nous sommes en train de rater le coche, de réagir trop tard, juge un diplomate. Nous ne sommes déjà plus dans une logique de prévention mais d'atténuation de la crise. Cela ne servira rien de se réveiller en juin quand les caméras de la BBC seront là.
(Le Monde )
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