Leurs divisions sont en grande partie responsables de l’instabilité politique de ces dernières années. Cette fois, les ténors de l’opposition promettent que, pour s’assurer du départ des militaires, ils sauront faire front.
Leur silence est assourdissant. Depuis le coup d’État du 18 février, les leaders politiques nigériens ne parlent pas. Officiellement parce qu’ils veulent voir la tournure que prennent les événements. En réalité parce qu’ils redoutent d’être associés aux militaires putschistes. « Si je parle, on va dire que je les manipule », confie l’un d’eux. « De toute façon, un homme politique n’a pas intérêt à faire entrer l’hyène dans la bergerie », lâche un autre. Soucieux de ne pas être confondus avec les putschistes, ils reviennent au pays au compte-gouttes et sur la pointe des pieds. Mahamadou Issoufou et Amadou Boubacar Cissé ne sont rentrés qu’à la fin de février. Hama Amadou et Mahamane Ousmane sont encore à l’étranger. Tous se sont donné le mot : « Soyons le plus discrets possible. »
Sont-ils inquiets pour leur avenir politique ? Il est vrai qu’ils n’ont aucun représentant dans le nouveau gouvernement, et qu’aucune date d’élection n’est fixée. Mais, pour se rassurer, ils insistent sur les qualités personnelles du chef de la junte, le commandant Salou Djibo. « C’est quelqu’un de très sérieux, confie l’un d’eux. Je le connais depuis longtemps et je l’ai revu la semaine dernière. Il m’a reçu chez lui, sans tapage. C’est un homme discret, qui n’aime pas les mondanités. Il parle peu, mais il tient parole. » Un autre tempère : « S’il n’y avait que lui, je serais plutôt confiant. Mais il y a toujours des courtisans. Il faut faire attention aux crapauds qui vont coasser et lui dire qu’il est l’homme providentiel. »
Des officiers de parole
En fait, ce qui rassure un peu les chefs de partis nigériens, c’est l’adresse du commandant Djibo à la nation, le 28 février dernier, sur les ondes de la Voix du Sahel. D’un ton martial mais d’une voix encore mal assurée, le nouveau maître du Niger a pris l’engagement « qu’aucun membre du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie [CSRD] ou du gouvernement de transition ne sera candidat à la prochaine élection présidentielle ». Le 12 mars, il a renouvelé sa promesse en signant des ordonnances interdisant à tous les responsables de la transition, des militaires au ministres en place, de se porter candidat aux prochaines élections. L’homme est-il sincère ? Les figures politiques de Niamey pensent que oui. « À la différence de la Guinée, nous avons une vraie armée, affirme l’une d’elles. Chez nous, ce sont les officiers qui commandent, pas les bidasses. Et quand ces officiers disent quelque chose, ils le font. En 1996, quand le général Baré a annoncé qu’il resterait au pouvoir, il a tenu parole. Cela lui a coûté la vie. En 1999, quand le commandant Wanké a promis de rendre le pouvoir, il a tenu parole aussi. »
L’absence de date pour l’élection ? « À l’heure qu’il est, c’est normal, dit le même leader politique. Il vaut mieux ne pas donner de date que d’en donner une fausse. » À Dakar, le 3 mars, lors d’une « tournée d’explication » au Sénégal, l’un des chefs de la junte, le colonel Hassan Mossi – le patron de l’armée de l’air –, a annoncé la création prochaine d’un « conseil consultatif » qui aura notamment pour tâche de fixer la date de la présidentielle. « Dans ce conseil, il y aura tous les partis politiques, la société civile, les associations de tout le pays », a-t-il précisé. « Cela nous va. Nous sommes prêts à y aller », répondent en chœur les ténors politiques. « Et pour la date de l’élection, nous avons une petite idée. Pourquoi pas le 22 décembre 2010 ? Ce sera l’anniversaire du jour où Tandja devait quitter le pouvoir, l’an dernier… »
L’armée est-elle tentée d’éliminer certains hommes politiques de la course à la présidentielle ? À Niamey, certains le pensent… et le souhaitent. De fait, une partie de l’opinion publique est persuadée que les grands partis de la place sont responsables des impasses de ces quinze dernières années et des putschs à répétition. Depuis le coup du 18 février, le porte-parole de la junte, le colonel Goukoye, parle volontiers de la nécessité « d’assainir » la vie politique. Le 3 mars à Dakar, son frère d’armes, le colonel Mossi, a lancé sur un ton énigmatique : « Pourquoi, au Niger, faut-il toujours revenir en arrière ? Que faut-il pour que l’armée ne revienne plus ? Combien de temps cela va-t-il nous prendre pour régler ce problème ? Le conseil consultatif va statuer sur tout cela. »
Si la junte voulait vraiment faire le ménage, ce serait facile. Il lui suffirait de réactiver les procédures judiciaires lancées par l’ex-président Tandja contre ses opposants, notamment contre les anciens Premiers ministres Hama Amadou et Mahamadou Issoufou. Mais, à Niamey, tout le monde sait que ces dossiers de « malversations » ont été fabriqués de toutes pièces par Tandja pour se débarrasser de ses rivaux. D’ailleurs, le 28 février, dans son adresse à la nation, le nouvel homme fort du pays, Djibo Salou, a mis les choses au point. Il a dénoncé « les tentatives d’utilisation politique de l’appareil judiciaire et les violations des droits humains, notamment par l’emprisonnement et le harcèlement » – allusion probable au séjour de Hama Amadou dans les prisons nigériennes, un an après sa rupture avec Mamadou Tandja.
Grand ménage
Il reste tout de même une incertitude. Dans ses déclarations, la junte annonce qu’elle va mener des audits sur la gestion passée de l’État, notamment sur les attributions de permis de recherche minière et sur les privatisations (eau, téléphone, etc.). A priori, les premiers visés sont l’ex-président Tandja et les six membres de son dernier gouvernement que la junte garde « au frais » depuis le 18 février. Mais si le CSRD décide de remonter dans le temps, d’autres hommes politiques peuvent être ciblés. Lors du putsch précédent, en 1999, Abdoulaye Adamou Harouna et autres colonels, tel Djibrilla Hima Hamidou – dit Pelé –, avaient négligé de faire le ménage parmi les hommes politiques corrompus. Aujourd’hui, les mêmes semblent pris d’un zèle purificateur…
Évidemment, le risque d’une telle entreprise, c’est qu’elle tourne à la chasse aux sorcières et que la junte en profite pour régler ses comptes. Alors, pour la première fois depuis la conférence nationale de 1991, les principaux leaders politiques du pays essaient de s’entendre. « Nous savons bien que nos chamailleries de 1995 ont précipité le coup d’État de Baré en 1996 », avoue l’un d’eux. « Si Tandja nous a roulés dans la farine l’an dernier, c’est parce qu’il a pu jouer sur nos rivalités », reconnaît un autre. Aujourd’hui, l’ex-président Mahamane Ousmane et les ex-Premiers ministres Hama Amadou, Mahamadou Issoufou et Amadou Boubacar Cissé sont réunis dans un front commun, la Coordination des forces pour la démocratie et la République (CFDR). Créé l’an dernier pour contrer le coup de force de Mamadou Tandja, ce front risque de voler en éclats à l’approche des élections. Mais avant de se disputer de nouveau, les quatre ténors essaient de mettre en place un code de bonne conduite, voire une feuille de route. Objectif : ne plus ouvrir de boulevards aux apprentis dictateurs. Comme dit l’un d’eux, « la démocratie sous protectorat militaire, c’est bien, mais c’est un jeu dangereux ».
Par Christophe Boisbouvier(Jeune Afrique)
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